Statement 2006

Avec l’audiovisuel, notre perception, notre conscience sociale et artistique et, par conséquent, notre rapport à la réalité, ont tellement changé que la question du rôle de la photographie et du pouvoir de l’image à travers sa capacité à communiquer s’est retrouvée placée toujours plus au centre de mes recherches.

Ces études sur la caractéristique de l’image photographique m’ont conduit - au-delà du refus de la prétention de la photographie à être authentique - à une remise en question fondamentale de la représentation elle-même. Mon but est d'obtenir un médium libéré de toutes contraintes qui soit reconnu explicitement comme photographie, mais qui, en même temps, renonce à sa fonction traditionnelle de reproduire le monde. Mon intention est de créer un préalable et les conditions, qui permettent un rôle plus actif de la part du spectateur : un relatif vide de signification dans mes travaux photographiques obligeant le « regardeur » à combler ce même vide, en réalisant sa propre perception esthétique de l’oeuvre. Cette conception du spectateur « se regardant regarder » m'a conduit tout naturellement vers Cézanne, dont l’oeuvre est affirmation du regard subjectif, prise de conscience de son propre regard et réflexion sur la forme artistique. Sa nouvelle vision du réel, qui ignore la perspective, modifie fondamentalement la relation entre le spectateur, la réalité et la représentation. Déjà, Cézanne fait converger autonomie de l’image et regard sur la nature. Il s’intéresse moins à une représentation réaliste de la nature qu’à la structure profonde de celle-ci. Dans ma démarche, le spectateur ne cherche plus la réalité dans mes travaux photographiques, mais la perçoit en tant que réalité de l'image autonome. Les nombreuses correspondances de mon concept, des « images imaginaires » avec l´oeuvre de Cézanne m'ont conforté dans ma résolution de mieux connaître la Montagne Sainte Victoire. Pendant mes pérégrinations photographiques de 1997-1999, j’ai tenté de percer le mystère de cette montagne mythique, demeure insaisissable des dieux, porte de la transcendance. Peut-être était-ce une idée fixe, comme pour Peter Handke qui, dans son livre « L’enseignement de Sainte Victoire », nous montre qu’un objet qui avait été la matière préférée d’un peintre pouvait représenter quelque chose de supérieur, une quête spirituelle. “Et c’est ainsi que j’allais non tant sur la trace des motifs de Cézanne, je savais, au demeurant, que la plupart d’entre eux sont dénaturés par les constructions, mais je suivais bien plutôt mon sentiment : c’était la montagne qui m’attirait comme rien encore dans ma vie ne m’avait attiré”. (Handke) Tout en ne partageant pas nécessairement son emphase, ce fut pour moi une expérience extraordinaire : grâce aux manipulations numériques, les motifs “dénaturés par les constructions“ ne posaient plus de problèmes, je pouvais rendre visible le paysage original.
Mon propos n’était pas de copier Cézanne, mais d’appliquer un moyen contemporain de traitement à un même sujet. Cent ans après ses recherches sur la montagne Sainte Victoire, qui pour le 20ème siècle furent une révolution radicale du « regard », nous nous retrouvons devant un nouveau bouleversement de notre façon de regarder,
dû au traitement numérique de l’image.


Rudolf Bonvie, Neyron, septembre 2006